Il arrive fréquemment que l'institution de bienfaisance où l'enfant est placé tarde très longtemps à faire valoir ses droits auprès de la caisse d'allocations familiales compétente (cela peut représenter parfois plusieurs années) et cela très probablement parce qu'elle tarde elle-même à connaître cette caisse).
Entretemps, la Caisse d'allocations familiales a continué à verser les allocations familiales comme avant le placement, ce qui aboutit, lorsque la nouvelle situation se révèle, d'une part, à des paiements rétroactifs, d'autre part, à des récupérations extrêmement pénibles et incertaines.
L'article 1240 du Code civil prévoit que le paiement fait de bonne foi à ce lui qui est en possession de la créance est valable, encore que le possesseur en soit par la suite évincé. Dans son traité de droit civil (livre IV, titre V), DEKKERS considère comme en possession de la créance celui qui est généralement connu comme étant le véritable créancier, même s'il n'a pas de titre écrit. Il ajoute que l'article 1240 ne distingue pas selon la bonne foi ou la mauvaise foi du possesseur et que celui qui effectue le paiement est libéré, s'il peut raisonnablement penser que le possesseur est le véritable propriétaire.
De PAGE (tome III, chapitre III) développe la conception que l'article 1240 du Code civil formule une exception au principe de la nullité du paiement fait à une personne autre que le créancier. L'article 1240 envisage un cas très spécial, celui de créancier négligent, qui a omis d'exercer ses droits. DE PAGE donne l'exemple de l'héritier apparent qui prend possession de la succession alors qu'il existe un héritier plus proche. Cet exemple paraît présenter une certaine analogie avec la situation dont il est question dans la présente lettre.
"En effet, aux yeux de la caisse de compensation qui ignore qu'un enfant est placé, le seul créancier qu'elle connaît est la personne physique dont il est question à l'article 69.
"Si l'on s'en tient à cette question, on est amené à conclure que les caisses de compensation qui ont payé de bonne foi la totalité des allocations familiales à la personne physique visée à l'article 69, pour le motif qu'il n'a pas été porté à leur connaissance que l'enfant était placé, doivent être considérées comme ayant payé valablement et ne peuvent dès lors plus être contraintes à payer une deuxième fois les 2/3 qui reviennent à l'institution. La bonne foi étant toujours présumée selon les dispositions de l'article 2268 du Code civil, dans l'éventualité où l'institution ne pourrait prouver la mauvaise foi dans le chef de la caisse de compensation, il lui resterait comme possibilité de se retourner contre la personne physique visée à l'article 69 pour lui réclamer les 2/3 de l'allocation familiale qu'elle aurait reçue sans cause."
Il peut arriver que les institutions de bienfaisance dans lesquelles les enfants sont placés réclament à la caisse de compensation le paiement des 2/3 qui leur reviennent légalement alors que la caisse de compensation a déjà payé la totalité des allocations familiales à la personne physique qui est allocataire.
Dans ce cas, les caisses de compensation sont invitées à prêter leurs bons offices aux institutions en ne versant sur les allocations encore dues qu'1/6 à la personne physique qui est allocataire, les 5/6 restants étant versés à l'institution jusqu'à apurement des comptes (...).